Camarades,
Habitant les contrées d’Albion, et actuellement engagée auprès de Britain Stronger in Europe, je me permets de vous polluer un peu pour donner une idée de la campagne de terrain. Après tout, sortons un peu de nos frontières pour voir nos voisins et amis, c’est pour cela que nous construisons, aussi, l’Europe.
L’Europe, justement, dont il est à présent enfin question après une longue (trop longue) campagne pour les élections municipales/locales du pays. Le 23 juin prochain, nos comparses britanniques vont avoir à donner leur avis à la question suivante « Should the United Kingdom remain a member of the European Union or leave the European Union? » Cameron, trop apeuré de perdre les élections de 2015, avait en effet cédé aux gémissements des plus conservateurs de son parti (c’est dire !) et de l’UKIP (no comment) et avait promis un référendum, considérant qu’il fallait que le peuple britannique décide, une fois encore après 1975, de son engagement européen.
Je ne commenterais pas le populisme, l’inanité et l’exemplaire stupidité d’une telle proposition (stupide, car dangereuse) car d’autres l’ont fait bien plus brillamment que moi. Je me permets juste de vous donner le point de vue d’un militant, issus des longues séances de démarchage, de tractage et de rencontres dans les rues.
Tout d’abord, l’expérience de terrain corrobore, comme on s’en douterait, les sondages d’opinion. Selon ces derniers (cf. https://ig.ft.com/sites/brexit-polling/ ) « remain » et « leave » sont au coude-à-coude, avec un très léger avantage pour « remain ». Les rencontres effectuées lors des marchés et dans les rues du Cambridgeshire font ressortir cette indécision générale. Bien entendu, des différences géographiques sont assez flagrantes, le centre de Cambridge, plutôt cosmopolite, est fortement en faveur de l’UE, là où des villes plus éloignées (ex.: Huntington) penchent violemment de l’autre bord.
On en est donc à 50/50, selon les sondages, et mon expérience de la rue m’effraie quant au vote en lui-même.
Je serais incapable de faire une sociologie du vote a priori. YouGov a réalisé un sondage récemment afin d’étudier le profil type de l’électorat, le sondage vaut ce qu’il vaut ( https://yougov.co.uk/news/2016/03/24/eu-referendum-provincial-england-versus-london-and/ )
Ce qui est flagrant, en revanche, sont les arguments prônés par les anti-européens. En premier lieu, ce qui ressort le plus est l’immigration. Le discours est le même qu’en France (droite décomplexée et extrême droite) à tendance « trop d’étrangers/on n’est plus chez nous » (je cite). Viennent les arguments selon lesquels « on pourrait dépenser plus pour nous/la NHS/etc. si l’on n’avait pas à contribuer à l’UE ». Enfin, la question de la souveraineté apparaît encore fréquemment (l’argumentaire a peu évolué depuis septembre dernier : https://yougov.co.uk/news/2015/09/22/eu-referendum-state-public-opinion/ ).
Ces « arguments » sont très souvent liés à une méconnaissance crasse de l’UE. Aucune des personnes à qui j’ai parlé n’a su quoi répondre lorsque l’on rétorquait qu’en ce qui concernait l’immigration, le RU avait le contrôle de ses frontières et n’était pas dans Schengen. (Nick Clegg l’avait fait remarquer à un Tory lors d’un débat organisé par le Guardian, du reste)
L’excuse de l’argent à redistribuer a bien évidemment été moult fois balayé, mais reste peu entendu : les sommes versées à l’UE par le RU sont ridicules comparées au coût de la NHS. ( http://www.bbc.co.uk/news/uk-politics-eu-referendum-36040060 ) C’est aussi ignorer les contributions de l’UE (infrastructures, éducation, recherche, santé…) qui sont invisibles mais présentes. Un exemple flagrant est l’absence totale de panneau indiquant « cette route a été payée par des fonds européens » comme il y en a en France, en Allemagne, en Irlande (et nombreux !). Il y a de plus un amalgame entre la politique destructrice du gouvernement Cameron (ayant mené à la grève des jeunes médecins) et du rôle de l’UE, notamment concernant « l’excuse » de la NHS. Boris et Nigel se frottent les mains.
L’appel à la souveraineté montre aussi, comme dans tout autre pays d’Europe, une méconnaissance (incompréhension) de ce qu’est l’UE. Un couple, pas plus tard que la semaine dernière, a été surpris quand je leur ai annoncé que le Parlement européen était élu par nous, les citoyens. L’homme, se retournant vers sa femme, lui a demandé : « Ah bon, nous votons ? » Oui, monsieur. Le RU est d’ailleurs la 2e force au parlement européen en nombre d’élus.
Ces critiques effectuées par les « outers » sont intéressantes, car elles font échos à celles de nos eurosceptiques nationaux. Des arguments sans fond, mais faciles, jouant énormément des peurs et haines de tout un chacun.
L’on voit ainsi mieux les défauts dont nous-mêmes sommes perclus en observasse ces réactions ici. Les mémés discours populistes percent en Europe, il est urgent de les combattre.
Cependant, les soutiens sont nombreux. Il y a, à mon sens, une incompréhension du continent vis-à-vis du RU. L’Ecosse, le Pays de Galle et l’Irlande du Nord sont majoritairement pro-européens. L’Angleterre certes moins, mais les supporters de l’Europe sont – je ne parle que de mon expérience personnelle – profondément entichés de l’idée européenne. Oui, le RU aime aussi l’Europe, peut-être plus que nous ne pouvons l’observer sous nos contrées. Peut-être, au final, plus polarisé ? C’est ce qui ressort de nos porte-à-porte et tractages : les personnes ayant déjà une opinion ont une forte opinion. Il reste, malheureusement, une population fortement apathique et désintéressée de la chose publique.
Pour finir sur une note amusante (qui, du moins, m’a fait rire), les meilleurs arguments « contre » auxquels j’ai eu droit :
3/ « On ne peut pas faire l’Europe avec les Français, on ne peut pas leur faire confiance : en 1940, ils ont déserté la ligne Maginot. »
2/ « L’Europe est voué à sa perte, c’est Nostradamus qui l’a prédit, on ne peut rien faire ! »
1/ « Faire l’Europe avec les Français (décidément !) c’est impossible : en 1066, ils sont venus pour piller et violer. » (oui, Guillaume le Conquérant 🙂 )
Cela n’est rien, en revanche, contre ce couple qui vient vous serrer la main pour vous remercier de faire campagne pour « remain » et demande des posters pour (je cite !) « faire chier le voisin qui a un panneau Leave ».
Ca, ça fait chaud au cœur. Il en faut peu.
En croisant les doigts (et battant le pavé) jusqu’au 23 juin.
Amitiés socialistes, Laurent Mathey, Cambridge, isolés
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