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Banalisons le FN ! Pour une véritable lutte stratégique contre l’extrémisme de droite

Dans ces années du centenaire de la Première Guerre mondiale, on se souviendra de la propagande nationaliste française avec les photos de cet « hun » allemand, mangeur et bourreau d’enfants français, belges et hollandais. Entretenir l’image d’un ennemi diabolique est un artifice de propagande qui ne remplace aucunement la véritable confrontation qui se fait sur le terrain militaire dans le cadre d’une guerre, ou sur les idées et l’engagement sur le terrain politique.

Les appels répétés d’une large frange de la classe politique depuis plusieurs années à ne pas banaliser le FN, à éviter sa « dédiabolisation » se sont avérés contre-productifs si l’on considère à l’aune des résultats des élections régionales de 2015 que le discours frontiste s’est profondément ancré et stabilisé en France. Comment agir alors face au discours du FN? Peut-être faudrait-il au contraire le banaliser et mettre en évidence à quel point ses élus ne sont ni contre le système, ni n’ont véritablement de positionnement politique au-delà de leur opportunisme forcené ?

Splendide isolation

« Le FN est un parti de pestiférés ». Dire ou penser cela, comme c’est souvent le cas, c’est se complaire dans un cadre intellectuel suranné et bien pratique où paraderaient les avatars d’une France libre, indomptable et intellectualisée qui s’opposerait avec la fougue des résistants de 1945 à une France prolétaire, collaborationniste et politiquement en déshérence. L’antifascisme post-Seconde Guerre mondiale a fait long feu. Son chiffon rouge, agité principalement par le Parti Socialiste fait toujours bien réagir ses supporters les plus convaincus mais il n’intéresse ni l’ancienne France gaulliste conservatrice qui en profite toujours mais n’y adhère pas, ni naturellement les électeurs du Front national.

Pourquoi? Peut-être simplement car les électeurs du Front national ne se perçoivent que rarement comme des néo-fascistes (réalité politique qu’ils refuseraient par ailleurs certainement) mais comme des citoyens conservateurs traditionnels, réagissant, sans intellectualisation, à leur situation et à leurs peurs quotidiennes. Car ce sont bien, pêle-mêle, ces craintes qui font office de fond idéologique et de programme au FN. Elles sont en vérité des orientations politiques intuitives qui apparaissent comme des évidences pour ceux qui les défendent. Il s’agit ici premièrement de la peur de l’insécurité véhiculée et amplifiée dans les zones rurales par la marchandisation de l’information et ses logiques sensationnalistes. Deuxièmement, de la xénophobie traditionnelle et « clanique » qui existe tout autant entre deux villages voisins, ou encore entre villes et départements.

Cette xénophobie habituelle, au-delà des critères géographiques est démultipliée par la diversité ethnique ou religieuse des « arrivants ». C’est troisièmement l’insécurité sociale qui s’illustre par la crainte de suppressions d’emplois pour soi-même ou pour les autres, sensation démultipliée également par l’augmentation depuis cinquante ans du vouloir d’achat qui implique un écart toujours plus important entre les salaires et les capacités financières réelles. Quatrièmement et dernièrement, cette insécurité sociale a pour corolaire la peur d’un déclassement premièrement personnel par ceux qui viendraient « nous » remplacer et prendre des emplois dont « nous » ne voulons pas et deuxièmement collectif avec le sentiment que le collectif national est en passe de perdre son rang mondial et ce sous les coups de boutoir de la mondialisation et des migrants.

Les édiles du FN savent utiliser stratégiquement ces peurs et craintes pour mobiliser cet électorat-là. Continuer à isoler leurs électeurs en rabâchant inlassablement que leur parti est « diabolique » a pour conséquence de renforcer leur sentiment de distance envers une élite politique qui semble ne pas vouloir les comprendre et qui les méprise en mettant publiquement en question le fondement de leurs craintes.

Re-labelliser le Front national

Le Front national a toujours existé en France par le biais de mouvements populaires ou de visages comme Gobineau, Maurras ou Barrès. Non pas en tant que force politique constituée mais comme mouvement rural et prolétaire de masse dont le cœur idéologique est la remise en question des élites. Au regard des révolutions comme celle de 1789, de 1848, de 1968 on s’aperçoit que le mouvement est fondamentalement a-partisan et qu’une condition de sa réussite est sa canalisation ou captation politique par un Parti ou un mouvement philosophique comme en 1789 avec les Lumières, en 1848 avec la bourgeoisie démocrate de Lamartine ou encore la France conservatrice du Général de Gaulle contre la « chienlit » des manifestations estudiantines de 1968.

La direction du FN a parfaitement compris le potentiel politique de ce mouvement et compte l’utiliser dans une période qui est effectivement riche en révolutions de paradigmes. L’établissement de la globalisation, la validation du changement climatique, la financiarisation du capitalisme et l’érosion des économies sociales de marché sont autant d’éléments qui frappent de plein fouet dans leurs chairs et consciences les populations les plus éloignées des centres de décision politique et qui sans capacité de comprendre intuitivement ces mouvements, s’en sentent les victimes.

Rappeler que le FN n’est pas un parti antisystème tant par la sociologie de ses élus, que par ses pratiques fortement teintées de corruption ou encore d’équilibrisme idéologique permanent à l’exemple de l’eurodéputé Philippot se disant favorable à l’avortement tandis que sa collègue Marine Le Pen y serait farouchement opposée, permettrait de reconstruire un clivage politique droite/gauche affaibli par la pratique présidentielle de la Vème République qui induit un glissement des grands partis politiques vers le centre. Réintroduire ce clivage, accepter stratégiquement que le FN soit le grand parti de droite au détriment des Républicains, c’est reconstruire une possibilité de rapport de force politique, qui mettra en lumière les incohérences entre les valeurs supposément défendues par le FN et ses pratiques.

Faire tomber le voile du FN

Malgré l’interdiction de signes qui cachent le visage dans l’espace public, le FN avance toujours voilé. Il n’a aucune conviction fondamentale mais a une seule ambition, amener une élite profondément opportuniste au pouvoir. Ces opportunistes de la vie politique, éternels caméléons diabolisés, deviennent tour à tour socialistes, islamophiles ou anti-européen selon le sens du flux populaire (alors que leur propre parti est subventionné en grande partie par les salaires de leurs Eurodéputés). Cet engagement protéiforme est, à cause du « barrage au FN » passé sous silence et entretient donc l’image d’un parti oppressé qui représenterait les révoltés et opprimés des campagnes françaises.

Faire tomber le voile du FN, c’est justement le présenter dans toute sa nud(ll)ité politique, sans fard, ni fantasmes. C’est l’exposer publiquement aux responsabilités politiques qu’il ne manquera pas de ne pas savoir exercer, comme au Parlement européen ou dans ses communes en France, c’est aussi couper toute possibilité pour la presse d’en faire le parangon d’une parole citoyenne alternative (comment expliquer en effet que la couverture médiatique de ce parti soit 4 à 5 fois supérieure à celle des autres partis lors de chaque élection si ce n’est pas sensationnalisme médiatique?), c’est encore l’obliger à la transparence pour ses élus que tous semblent exiger des autres partis mais non de lui-même et c’est enfin, mécaniquement, le contraindre à se situer clairement dans l’équilibre politique en développant un programme, qui reste à l’heure actuelle, inexistant.

Le message, enfin, qui doit être développé par la gauche ne se concentre pas uniquement sur la riposte à ces idées d’extrême-droite mais doit clairement être offensivement ancré à gauche, tout en revoyant la méthode, c’est-à-dire en endossant la pelisse usée du Parti de masse, en se rendant auprès des citoyens, en les aidant concrètement, en leur parlant simplement et en leur disant que la gauche peut les protéger encore mieux que ne le peut la droite.

Car au-delà de toute autre question, c’est la protection de la population qui est la première charge des hommes et des femmes politiques. Cette protection, elle concerne naturellement la sécurité, mais aussi et surtout le social et l’emploi, domaines dans lesquelles le FN trouve son unique carburant politique. En parler simplement, retrouver le terrain social en étant là pour les gens et avec eux, donner la priorité à l’élément humain avant le choix économique, voilà, comment on fait tomber le masque du FN, non pas en reprenant ses thèmes, mais en ramenant les laissés-pour-compte de la politique. Et pour cela, il faudra accepter que le FN et ses électeurs existent car, dans cette atmosphère de néo-révolution nationale, continuer à ne pas vouloir affronter un problème en proposant de la brioche lorsqu’il n’y a pas de pain, on en viendrait à perdre la tête.

Gabriel Richard-Molard

Bureau Fédéral – Secrétaire Fédéral à l’Europe

Blogger Européen (tribune publiée sur http://www.huffingtonpost.fr/gabriel-richardmolard/banalisons-le-fn-pour-une-veritable-lutte-strategique-contre-lextremisme-de-droite_b_8809444.html)

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Ce texte est un « point de vue » et ne doit pas être considéré comme la position officielle de la FFE-PS

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