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État des lieux à un an de l’élection fédérale en Allemagne

Les observateurs de l’Allemagne connaissent certainement Hélène Fischer, chanteuse allemande de schlager (kitsch-pop), connue pour son titre Atemlos durch die Nacht (« Essoufflée à travers la nuit »). La grande coalition entre la CDU et le SPD à un an de l’élection fédérale donne l’impression d’être à bout de souffle, tant les problèmes s’amoncèlent. L’affaire Böhmermann, la crise migratoire, les ratés de la politique sociale ou encore la montée des extrémistes de l’AfD sont autant de défis qui pourraient mettre un terme à la grande coalition.

La montée de l’AfD, parti d’extrême droite

Les sondages du 9 mai résonnent comme un coup de tonnerre. Le SPD rassemble 19,5% tandis que la CDU est à 30,5%, soit leurs plus bas scores historiques. Les écologistes sont rétrogradés en quatrième position, se faisant dépasser par l’AfD (Alternative pour l’Allemagne), le nouveau parti d’extrême droite eurosceptique qui atteint 15%. Ce parti xénophobe a capitalisé sur les engagements de la coalition en matière sociale et sur les craintes suscitées par sa politique migratoire. Présent au Parlement dans huit Länder, l’AfD a continué à marquer des points jusqu’à devenir, en mars, la deuxième force politique de Sachsen-Anhalt et la troisième dans le Bade-Wurtemberg. Dans les deux cas, les sociaux-démocrates sont derrière avec respectivement 10 et 12%.

Au dernier congrès de l’AfD en février 2016 à Düsseldorf, les débats tournaient autour de la migration et de la souveraineté économique. Comme en France, ce sont les mêmes éléments d’une version nationale idéalisée qui sont centraux dans la rhétorique de l’AfD avec un pilier programmatique principal relatif à la reconquête de la souveraineté nationale, l’ennemi commun restant l’immigré qui viendrait profiter des prestations sociales.

Vers une implosion de la majorité conservatrice de la CDU et la CSU?

Le cap donné à la politique migratoire par Angela Merkel est également au centre de toutes les préoccupations de la majorité conservatrice. De nombreuses voix continuent de s’élever pour demander un changement de la Chancelière. Les appels se multiplient, comme par exemple celui du « Groupe de Berlin » qui a demandé un arrêt de la politique « de gauche » de la Chancelière. Ces douze députés dressent le constat que « la soi-disante modernisation du parti n’a qu’un seul effet qui est de créer une place durable à la droite du parti ». Parler de parti à la droite de la CDU n’est pas anodin puisque la droite allemande considère que, comme le disait Franz Josef Strauß : « À droite de la CSU, il ne peut exister de parti démocratiquement légitime ». L’émergence d’un parti à droite des conservateurs remet en question leur ADN politique et explique la fronde actuelle.

Cet appel du Groupe fait écho aux discussions animées au sein de la CSU bavaroise. Que cela soit par Horst Seehofer, l’actuel ministre-président de Bavière ou de son ministre des Finances, Markus Söder, les menaces de séparation et de la fin de l’alliance entre la CSU et la CDU se font de plus en plus claires. Angela Merkel mesure le risque d’implosion et multiplie ces dernières semaines les opérations de séduction politique, aidée par Wolfgang Schäuble qui déclarait qu’une telle séparation du bloc conservateur serait une erreur historique.

Ces frictions sont à l’évidence à lier avec l’échéance électorale nationale de 2017 et la possibilité d’une campagne CSU séparée de la CDU. Ces tensions, qui sont directement liées à la peur des conservateurs de perdre leur électorat au profit de l’AfD, se révèlent également fortes depuis le début du printemps 2016 au sein du SPD.

Le SPD en difficulté

Le SPD semble ne profiter en rien de son accord de coalition avec les conservateurs. Le parti, à l’initiative des avancées sociales du mandat, n’en bénéficie ni dans les sondages, ni lors des élections régionales. Des déclarations comme celle d’Andrea Nahles sur la nécessité de réduire encore les bénéfices sociaux des migrants citoyens de l’Union, ont contribué à la démobilisation de la base du parti. Pour finir, la faiblesse de l’engagement du parti sur des sujets de société transversaux, comme l’affaire Böhmermann, a été préjudiciable. Le comique Böhmermann a publié fin mars une chanson satyrique et un poème-pamphlet à l’intention du président turc Recep Tayyip Erdoğan qui y a répondu en ouvrant une procédure devant les juridictions allemandes pour injure et diffamation. La Chancelière et le gouvernement fédéral valident l’application de l’article 103 du Code pénal, prévoyant l’interdiction d’injurier des dirigeants étrangers, alors que d’après de nombreux juristes, l’application de cet article est clairement en rupture avec les droits fondamentaux.

L’annonce du sondage catastrophique du 9 mai pour le SPD avait vraisemblablement été anticipée par le parti qui avait organisé le même jour, une grande conférence sur l’égalité et sur les valeurs du parti. Sigmar Gabriel, vice-chancelier, est passé à l’offensive politique. Son objectif était de défendre son bilan, tout en se déclarant candidat à la chancellerie en 2017 et surtout en faisant contrition des erreurs politiques commises depuis le début du mandat et par ses prédécesseurs. Tout en se prêtant à un jeu de questions/réponses, il s’est laissé mettre en difficulté pour montrer un visage peut-être plus humain et plus déterminé à contenter son aile gauche.

La coalition gouvernementale à bout de souffle

La pratique de la coalition gouvernementale arrive clairement à ses limites. Tant parce que le plus petit parti de cette coalition commence à ressentir les conséquences de la cannibalisation de ses revendications par la Chancelière, que parce que la position de leadership prise par Angela Merkel au sein de l’Union européenne vient bousculer sa majorité.

L’irruption d’un nouvel acteur politique national et régional, incarné par l’AfD, ouvre un nouveau front sur la droite des conservateurs et met directement en péril la stratégie d’empiètement sur le SPD en appelant à un coup de barre politique vers la droite.

Il semble peu crédible que la situation politique évolue autrement que par un recentrage des partis de coalition sur leurs revendications historiques. L’AfD souffrira certainement de la reconquête progressive de la CDU de son électorat. Pour le SPD, l’avenir est incertain. Il semble néanmoins relativement évident que tant que ces partis ne se concentrent pas sur la reconquête de leurs électorats populaires, partis dans les partis populistes ou s’étant démobilisés, il y a peu de chance que la constante à la baisse de leurs résultats électoraux ne s’infirme.

« Atemlos durch die Nacht » ou à bout de souffle à travers l’exercice du pouvoir, voilà l’image que donne la grande coalition allemande à un peu plus d’un an des élections fédérales. Si la chanson d’Hélène Fischer répète dans son refrain « Nous sommes inséparables, un peu comme immortels », il se peut que les circonstances et l’activité politique des mois prochains ne lui donneront pas raison.

—- Ceci est un point de vue —-

À un an de l’élection fédérale en Allemagne, Gabriel Richard-Molard met en avant, dans une note publiée par la Fondation Jean-Jaurès, les difficultés rencontrées par la majorité conservatrice (la CDU et la CSU) menée par Angela Merkel et par le parti social-démocrate (le SPD) face à la montée de l’extrême droite représentée par l’AfD. * Retrouvez la note complète sur www.jean-jaures.org

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